Les réseaux sociaux, au cours de la dernière décennie, ont connu une transformation profonde.
Au départ, ces plateformes étaient perçues comme des canaux d’expression authentiques, permettant aux individus de se libérer des contraintes de communication traditionnelles.
Produire et diffuser un récit, une vidéo, une photo ou encore de la musique est possible grâce à une multitude de canaux spécifiques tels que Facebook, Instagram, X, TikTok, YouTube ou SoundCloud…
Chacune de ces plateformes ouvre un espace d’expression, permettant à chacun de partager sa créativité et de toucher un « large » public. Ces canaux de diffusions, autrefois limités (via la Télévision par exemple), sont désormais accessibles à tous, démocratisant la création de contenu et multipliant les formes de narration et d’interaction.
Cependant, progressivement, ces espaces se sont uniformisés, au point où la diversité des contenus et des récits a cédé la place à une répétition de scénarios stéréotypés. Ce phénomène peut être analysé sous le prisme de la « dysnéfication« , un terme qui évoque cette standardisation et cette banalisation des contenus.
Du statut d’auteur à l‘uniformisation progressive des contenus
Au début de l’ère des réseaux sociaux, ces plateformes ont joué un rôle dans l’émancipation des individus. Selon la sociologie de l’action, notamment celle développée par Raymond Boudon (L’individualisme méthodologique), les individus ne sont pas de simples « agents » (passifs), mais des « acteurs » capables de rationalité et d’intentionnalité dans leurs actions.
Les réseaux sociaux ont offert à chacun la possibilité de devenir un auteur de contenu, maître de son propre récit.
Malheureusement, cette diversité initiale a progressivement laissé place à une uniformisation des contenus. Ainsi, l’essor des influenceurs dans les secteurs des marques, de la mode et du tourisme (par exemple) a initié cette standardisation. Pour maximiser leur portée et séduire les « marques », ces derniers adoptent des stratégies de communication qui finissent par se ressembler. Cela crée des « recettes » de publication qui se répètent constamment. Les photos de voyages dans des territoires touristiques, les placements de produits, et les récits scénarisés construisent l’illusion d’une vie parfaite, comme dans un conte de fées (Dysnéfication…).
Tous amis, tous insignifiants…
« Je te follow, tu me follow » est devenu une vaste pitrerie. Les contenus sont consommés en mode « snacking », avec une durée de vie d’environ 7 secondes pour une image sur Instagram…
C’est bien peu pour exister ! Cela en dit long sur l’intérêt réel que les uns portent aux autres, mais surtout sur l’avenir de ces plateformes où des influenceurs (par exemple) achètent des followers pour se rendre « artificiellement importants ».
De nouvelles fonctionnalités permettent également de masquer des comptes et des publications sans avoir à se désabonner. Cette option vise à « fluidifier » le flux de contenu de l’utilisateur, tout en conservant l’espoir que celui-ci, restant abonné, finira par interagir à nouveau avec les publications. Cela permet de maintenir une apparence de lien social sans pour autant surcharger le flux de l’utilisateur avec des contenus jugés moins pertinents.
De plus, on constate que les industries des réseaux sociaux se plaisent à inventer sans cesse de nouvelles plateformes, en vantant l’intérêt d’un nouvel algorithme qui rendrait les publications plus transparentes. C’est le cas de Threads, qui laisse croire à une population de photographes que la vie peut recommencer à zéro, promettant un nouveau monde de « bisounours » grâce à un algorithme « bienveillant »… Il n’en est rien !
Un langage « pauvre » et une scénarisation caricaturale
Les réseaux sociaux ne se contentent pas d’uniformiser les images et les récits ; ils appauvrissent aussi le langage et la scénarisation.
Les publications sont souvent réduites à quelques expressions simplistes : « Wow », « Incroyable », « Love », « énorme! »…
Le vocabulaire des interactions devient minimaliste et les échanges se résument à des réactions émotionnelles brutes. On peut dire que ce registre lexical rejoint l’analyse de Eva Illouz sur « l’injonction au bonheur ».
Tout est représenté de manière positive, idéalisée, dans une quête perpétuelle d’une vie parfaite et heureuse, créant ainsi un décalage profond avec la réalité.
Nous assistons ainsi à une « dysnéfication » des contenus sur les réseaux sociaux, où la simplicité, l’idéalisation et la répétition prennent le dessus.
Les grandes marques commerciales et les organismes de promotion touristique par exemple ont largement contribué à ce phénomène en encourageant des contenus calibrés, accessibles et uniformes. Ce formatage du contenu rappelle l’univers enfantin et édulcoré des productions Disney, où tout est lisse, parfait et sans nuance, rendant les récits bien plus adaptés à un public enfantin qu’adulte.
Influenceur Bruno Maltor – 2017Les utilisateurs, souvent passifs, se retrouvent à reproduire ces récits sans recul, (re)devenant eux-mêmes des agents d’une diffusion massive de la (médiocrité) créative.
Ce processus rappelle une forme d’instrumentalisation, où les individus sont réduits à de simples relais (électron) d’une norme imposée (l’atome), plutôt que des créateurs autonomes.
Alors peut on tenter de modéliser ces quelques constat empiriques ?
Le modèle de Réduction Symbolique et de Conformisme Communicationnel (RSCC)
Le modèle empirique que l’on pourrait nommer : Modèle de Réduction Symbolique et de Conformisme Communicationnel (RSCC) permet de rendre intelligible ces dynamiques de production et de diffusion de contenus culturels sur les réseaux sociaux dans le cadre de la promotion territoriale et touristique.
Ce « modèle empirique » postule que les institutions et les marques, en quête d’une audience large et d’un engagement élevé, adoptent des stratégies communicationnelles qui simplifient les représentations culturelles, réduisant ainsi la diversité symbolique des territoires promus.
Cette approche, combinée à une pression sociale de conformisme (Salomon Asch) , entraîne une adhésion passive des utilisateurs à des normes esthétiques et narratives appauvries.
Première étape : La Réduction Symbolique
Les institutions et marques engagées dans la promotion d’un territoire, face aux contraintes imposées par les plateformes numériques (formats courts, engagement rapide, algorithmes de visibilité), simplifient considérablement les représentations qu’elles diffusent. Ce processus, que l’on peut appelé Réduction Symbolique, désigne le fait que la richesse culturelle, historique et naturelle d’un territoire est compressée en images et récits de piètre qualité, souvent dépourvus de profondeur et de singularité.
Deuxième étape : Le Conformisme Communicationnel
Une fois cette norme visuelle et narrative établie par les institutions et marques, le processus de Conformisme Communicationnel s’enclenche. Ce concept désigne la tendance des utilisateurs et créateurs de contenu à s’aligner sur les représentations simplifiées et stéréotypées des institutions dominantes. Dans un contexte de réseaux sociaux, les individus, soumis à une répétition constante de contenus homogènes, finissent par intégrer et reproduire ces schémas de représentation en espérant recevoir l’adhésion de ces marques/institutions.
Influenceur Bruno Maltor – 2021L’instrumentalisation
Un aspect central du modèle RSCC est l’instrumentalisation des utilisateurs à travers des mécanismes ludiques, tels que les concours ou les événements promotionnels. Ces actions visent à augmenter l’engagement tout en réduisant les utilisateurs à des agents de diffusion passive. L’infantilisation se manifeste dans les mécanismes communicationnels (gamification) qui traitent les individus non comme des acteurs culturels, mais comme des consommateurs réceptifs à des récits simplifiés.
Le conformisme et le biais de la norme
Le modèle RSCC s’appuie également sur le concept le processus de Conformisme (Asch), où les utilisateurs, en raison de l’omniprésence des contenus standardisés, finissent par adhérer à ces normes. Ce phénomène est accentué par la dynamique algorithmique des réseaux sociaux, qui privilégie les contenus conformes aux attentes esthétiques et émotionnelles des marques et des institutions.
« L’influence majoritaire », facilitée par les algorithmes, pousse les utilisateurs à adopter un comportement conformiste, où les contenus reproduisent les normes de consommation imposées par les institutions.
Conclusion : Un modèle d’analyse critique des pratiques numériques
En conclusion le « modèle » de la Réduction Symbolique et du Conformisme Communicationnel mène à une représentation appauvrie et uniformisée des territoires. Cette standardisation des récits et des images crée une vision homogène des espaces culturels et naturels.
À force de reproduire la même norme, les utilisateurs finissent par percevoir ces lieux à travers une lentille stéréotypée, déconnectée de la richesse réelle des territoires.
Dans le cas de la promotion touristique, si les utilisateurs continuent de reproduire ces schémas standardisés, ou tout finit par se répéter, il devient alors difficile de distinguer la promotion du département X de celle du département Y, tant les récits et les images se ressemblent.
Cette uniformisation, définissant ainsi une norme culturelle, réduit drastiquement la diversité symbolique, rendant les territoires interchangeables dans l’imaginaire collectif.