Analogie de la friche urbaine – la transformation de l’inutile en utile – partie 2

A

Imaginez une friche urbaine, un espace vacant dans une ville qui, à première vue, ne semble avoir aucune utilité productive…
Cependant, si l’on prête attention à ces zones, on découvre que, même laissées à l’abandon, elles peuvent servir d’espace pour la croissance d’écosystèmes naturels.
Avec un peu d’imagination, ces espaces peuvent être transformés en jardins communautaires, en parcs ou en espaces culturels, générant de la valeur dans un lieu qui semble initialement inutile ou inapproprié.

Les temps d’attente, qu’il s’agisse de moments passés dans les transports, dans les salles d’attente…, peuvent être perçus comme des « friches temporelles » : des moments où l’on est plus ou moins passif, sans les exploiter de manière productive.
Cependant, à l’instar des friches urbaines, ces périodes d’inactivité peuvent être réaménagées et transformées en des moments d’apprentissage productif (c’est notre sujet), favorisant la réflexion, la révision ou la résolution de problème, les Gestaltistes pourraient parler d’un temps qui sert à la préparation, l’incubation l’illumination et la vérification.

Les principales étapes de la résolution de problème dans le cadre de la Gestalt-théorie (préparation, incubation, illumination, vérification) sont attribuées au psychologue Graham Wallas, fortement influencé par les travaux des psychologues de la Gestalt comme Max Wertheimer, Kurt Koffka, et Wolfgang Köhler

Les quatre étapes de Wallas :

  1. Préparation : Le sujet rassemble des informations et commence à réfléchir au problème.
  2. Incubation : Après une période de réflexion consciente, le sujet prend une pause et laisse l’esprit traiter le problème de manière inconsciente.
  3. Illumination : On parle « d’insight » mais ce terme peut être traduit par « Eureka » ou par compréhension soudaine, où la solution apparaît souvent de façon inattendue.
  4. Vérification : La solution est testée et vérifiée pour s’assurer qu’elle fonctionne réellement.

 

Les psychologues de la Gestalt ont donc exploré les mécanismes cognitifs sous-jacents, révélant que la réorganisation perceptuelle et cognitive mène à des insights dans la résolution de problèmes.

 

Petit détour par la notion d’écologie cognitive

La notion d’écologie cognitive se réfère à l’idée que le cerveau humain, tout comme un écosystème naturel, fonctionne au sein d’un environnement complexe et dynamique.
Il doit s’adapter, interagir et tirer parti des ressources cognitives disponibles dans cet environnement.
En termes d’apprentissage, cette approche suggère que nos processus cognitifs (mémoire, attention, raisonnement) sont influencés non seulement par notre propre cerveau, mais aussi par l’environnement dans lequel nous évoluons, les outils que nous utilisons (iphone, Mac…) et le contexte social et culturel.

L’écologie cognitive met donc l’accent sur l’idée que les processus cognitifs sont façonnés par l’interaction dynamique entre le cerveau, les outils, les objets, et l’environnement social et physique.
C’est une approche qui voit la cognition comme étant « distribuée » dans l’environnement, et pas seulement confinée à l’individu.

L’interaction avec l’environnement, en particulier via des outils technologiques comme les smartphones, offre ainsi des affordances cognitives pour réfléchir ou consolider des connaissances déjà acquises.

Le concept d’affordances cognitives a été introduit par James J. Gibson dans le cadre de sa théorie écologique de la perception.
Les affordances désignent les possibilités d’action offertes par l’environnement à un individu, en fonction de ses capacités physiques et cognitives.
Dans le contexte cognitif, cela fait référence aux opportunités de pensée, d’apprentissage ou d’interaction que l’environnement (physique ou numérique) présente.
Par exemple, la technologie smartphone offre l’affordance de lire, d’apprendre, ou de communiquer, selon les besoins et les intentions de l’utilisateur.

Enfin, ces moments offrent des opportunités pour l’incubation cognitive (comme nous l’avons vu plus haut), où l’esprit « vagabondant » peut trouver des insights/solutions ou renforcer des apprentissages précédents.

 

La théorie de la cognition située

Lier la notion d’écologie cognitive avec la théorie de la cognition située permet de monter qu’il partage un principe commun : l’idée que la cognition est indissociable de l’environnement dans lequel elle se produit.
Ce sont deux perspectives qui se complètent pour décrire comment l’apprentissage et la pensée se déroulent non seulement à l’intérieur de l’esprit, mais en interaction constante avec le monde extérieur.

On ne peut imaginer qu’apprendre puisse se faire en dehors de la vie quotidienne si celle-ci est conçue comme le lieu de la pratique sociale.
« Jean Lave, de l’apprentissage situé à l’apprentissage aliéné« , Gilles Brougère, Pratiques de formation/Analyses : Revue internationale de sciences humaines et sociales, 2008, 22, pp.49-63

La théorie de la cognition située (Jean Lave et Étienne Wenger) postule que la connaissance et les compétences se développent à travers l’interaction avec le contexte social dans lequel elles sont utilisées.
L’apprentissage est toujours ancré dans un contexte, et il est acquis non pas par l’écoute passive mais par la participation active à des situations réelles.
Ainsi, dans le cadre des temps de transition, l’environnement physique (train, gare, métro…salle d’attente) et social (autres voyageurs,..) joue un rôle crucial dans le processus d’apprentissage.

Cette théorie suggère que le savoir est inséparable de l’action. Les temps de transition offrent des expériences concrètes qui peuvent être exploitées pour l’apprentissage, comme l’observation de l’environnement.

La cognition située met également l’accent sur l’importance des interactions sociales dans l’apprentissage. Les temps de transition peuvent offrir des opportunités d’échanges avec d’autres personnes, favorisant ainsi l’apprentissage collaboratif et le partage de connaissances, toutefois  « hors condition » de travail en groupe défini, les interactions ne sont peut être pas aussi spontanées…

 

Les défis à considérer

Alors certes, la perspective d’apprentissage durant les temps de transition est alléchante 😉 mais… il faut toutefois considérer que « l’espace de jeu » est occupé par quelques distractions…

  • Les environnements de transition peuvent être bruyants ou agités, ce qui peut perturber la concentration
  • Les temps de transition sont souvent courts, ce qui peut limiter la profondeur de l’apprentissage
  • Chaque situation de transition est unique, ce qui peut rendre difficile la conception d’expériences d’apprentissage universelles
  • La motivation du sujet (à ce niveau je dirais que le problème est le même dans cadre universitaire/scolaire classique)
  • Enfin, les réseaux sociaux, les jeux, la musique, … constituent autant de distractions en concurrence directe avec ce concept d’apprentissage
  • L’IA générative (GPT, DALL-E…)

En conclusion, la théorie de la cognition située offre un cadre prometteur pour repenser l’apprentissage durant les temps de transition.
En considérant ces moments comme des opportunités d’apprentissage ancrées dans un contexte spécifique, il est possible de créer des expériences d’apprentissage riches et pertinentes, transformant ainsi des temps souvent considérés comme « perdus » en opportunités de développement personnel et d’acquisition de connaissances.

Une réflexion s’impose alors sur la pertinence des contenus d’enseignement, qui devront être adaptés à ces temps de transition.
Comme nous l’avons vu plus haut, la notion de situation-problème semble être une piste de réflexion prometteuse, permettant d’être mise en œuvre dans ce cadre.

C’est dans cette transformation de l’inutile en utile que réside le potentiel des temps de transition.

 

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Stéphane Meurisse

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